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Françoise Sagan
(1935-2004)
Entretien réalisé à Paris le 30 mai 1991
 

Les livres de Françoise Sagan ont peu perdu de leur liberté d'écriture, de leur humour et de leur ton insouciant particuliers, qui avaient bousculé les tabous en 1954 avec Bonjour tristesse, premier livre publié à dix-sept ans par une jeune fille de bonne famille et premier best-seller...
La jeune fille rangée prodigue des années cinquante publiera à la suite de l'époque dorée de Saint-Germain-des-Prés une quarantaine de livres avec souventle même succès, même si les plages de Saint-Tropez, la vitesse des jaguar incontrôlées et la passion du jeu de ses débuts, cliché qui lui collera un peu trop à la peau, ne constituaient plus son seul univers existentiel.
En quarante ans d'écriture, on lui aura tout reproché, on lui aura tout envié, mais on continuera à la lire, sachant accrocher et happer son lecteur, en l'introduisant au cœur des crises que subissaient ses personnages et parfois elle-même...

Françoise Sagan, quand vous avez publié votre premier livre à dix-sept ans, pensiez-vous réellement devenir écrivain ?

Non. Vous savez, à cette époque, les filles se mariaient, point final! Si je n'avais pu écrire, j'aurais voulu être médecin... en fait, je n'aurais jamais eu le courage de faire ces études, ni rien d'autre...

...que d'écrire.

Oui... (long silence). Je ne rêvais que de ça... Ecrire, publier : être écrivain...

On ne peut pas dire que votre famille vous a supporté à vos débuts. Quand, en arrivant à table, vous leur annoncez votre contrat chez Julliard, d'où vous venez, leur première réponse fut : "Tu ferais mieux d'être à l'heure pour déjeuner" ! Avez-vous douté, à cet âge, de votre avenir littéraire ?

Bien sûr! Naturellement... D'ailleurs, quand j'ai terminé d'écrire Bonjour tristesse, je l'ai mis dans un placard. C'est par hasard que je l'ai ressorti six mois après...

Qu'est-ce qui vous a poussée à écrire ?

La lecture. Dès que j'ai commencé à lire, j'ai pensé que rien n'était plus passionnant que la littérature. J'ai alors eu envie d'écrire, sans penser que je serais publiée un jour. J'ai commencé à écrire dès l'âge de quatorze, quinze ans. Des poèmes, qui n'étaient pas très bons, à vrai dire... Et puis j'ai écrit "Bonjour tristesse" à dix-sept ans. La suite, vous la connaissez...

Quels sont les auteurs qui vous ont influencée dans votre jeunesse ?

Mes premiers chocs littéraires d'adolescente sont "Les Nourritures terrestres" de Gide. Et puis Rimbaud, Camus, en particulier "Le mythe de Sisyphe". Ensuite, j'ai lu Sartre, j'ai découvert Proust...

Proust que vous avez commencé à lire d'une façon particulière...

En effet... J'ai essayé de commencer Un amour de Swann, mais je l'ai abandonné. J'ai alors entamé par hasard Albertine disparue, ce qui m'a permis de lire toute la "Recherche" plus facilement. Les gens devraient savoir que c'est très difficile de commencer Proust par Un amour de Swann. Albertine est beaucoup plus aisé pour rentrer dans son univers.

Vous avez aussi cité dans vos livres autobiographiques Balzac, Dostoïevski et Stendhal...

A l'époque, je lisais tout ce que je pouvais lire. Mais d'un point de vue d'adolescent - c'est à dire l'âge où l'on cherche des gens qui vous proposent des espèces de modes de vie-, ce sont Les Nourritures terrestres de Gide et l'œuvre de Camus qui m'ont d'abord influencée. C'étaient des moralistes, qui m'expliquaient comment était la vie, de manière un peu solennelle, que je trouve maintenant un peu alambiquée. Mais à l'époque, j'étais fascinée...

Relisez-vous dorénavant ces auteurs ?

Camus et Gide, non. Mais Proust, souvent, au hasard. Sinon Balzac, Dostoïevski, Rimbaud, Apollinaire et d'autres poètes...

Le roman est-il pour vous une forme de liberté? Y réalisez-vous vos rêves ?

J'y réalise avant tout ma passion d'écrire. On peut appeler ça réaliser ses rêves... c'est à dire les concrétiser, leur donner une forme. Mais ça m'a permis surtout de vivre comme j'en avais envie. Et c'est déjà énorme.

Préparez-vous vos livres avant de les écrire?

Pas du tout. Je pars sur une image, avec dans la tête une idée de scène, de sentiment, et deux ou trois personnages. Je pars avec mes héros dans une direction, et je m'embarque avec eux! Et ensuite, je subis toutes les vicissitudes et toutes les déviations que l'on peut subir en écrivant un roman...

Vous ne connaissez jamais la fin de vos livres ?

Pas toujours... Le plus souvent, je l'apprends au cours du livre.

Prenez-vous beaucoup de notes ?

Non. Je fais des débuts de livre, que je n'arrive pas à continuer. Je les mets alors de côté pendant un certain temps, et puis je continue, j'écris encore un autre début, et cætera... Si bien que j'ai deux ou trois cahiers remplis d'ébauches de mon prochain livre, mais que je n'écrirai peut-être pas avant un an...

Etes-vous une fanatique des archives ?

J'ai horreur des documents! Quand j'ai écrit un livre sur Sarah Bernhardt, j'ai bien sûr lu deux, trois livres sur elle, pour avoir des points de repères, mais c'est tout.

Vous n'avez pas un carnet de notes toujours sur vous ?

Ah, ça, jamais! Je trouve que cela a un côté "pique-assiette"! (rires). Ma vie est ma vie, mes romans c'est autre chose : c'est un mélange d'intuition, de recoupement, d'imagination. Je ne me sers pas des gens que je rencontre pour créer mes personnages. Je ne vois jamais rien et ne tire jamais rien de mon expérience. Cela se passe peut-être dans ma tête, mais ce n'est pas du tout un travail conscient. Lorsque je décris un sentiment, je ne cherche pas à me rappeler ce qui m'est arrivée : je n'ai pas du tout le sens de l'observation...

Vous n'avez jamais ressenti le besoin de voyager, pour situer une scène d'un de vos romans ?

Non. J'ai situé une scène d'un de mes romans dans le Limousin, alors que j'étais au Népal! Pour moi, la littérature est faite de nostalgie...

Avez-vous déjà été inspirée par un autre sujet que celui sur lequel vous travailliez ?

Si une autre idée me traverse, je la laisse tomber. Ou elle est bonne et je la retrouverai un jour ou l'autre, ou elle est mauvaise et alors elle est passagère.

Avez-vous déjà écrit plusieurs romans en parallèle?

Ca m'est déjà arrivé d'écrire deux livres à la fois, mais, finalement, il y en a un qui a gagné, je n'en ai publié qu'un seul. Il m'est aussi arrivé d'écrire d'affilée deux livres : lorsque j'ai terminé La Femme fardée, j'ai écrit illico Un orage immobile. J'étais lancée, je n'arrivais plus à m'arrêter! J'étais comme une machine lancée, c'était pratiquement de l'écriture automatique!

Tenez-vous un carnet de bord afin de vous retrouver dans l'évolution de vos personnages?

Pas du tout...

Cela ne vous est jamais arrivé de faire des erreurs, des oublis ?

Non, c'est très rare... Un de mes personnages peut faire des erreurs, me compliquer la vie avec les autres, mais je ne rectifie pas ces erreurs de parcours. J'ai peut-être tort, d'ailleurs...

Quel est votre endroit favori pour écrire ?

N'importe où, la nuit, là où il n'y a pas de bruit. Chez moi, j'écris dans une pièce isolée au premier étage, où je suis tranquille, que j'appelle pompeusement mon "bureau", alors qu'il y a toujours une foule noire dans la journée... Mais la nuit, j'y suis tranquille, il n'y a pas de gens, pas de téléphone...

Ne vous plongez-vous pas dans une ambiance particulière pour travailler?

Non. Le silence de préférence, et c'est tout...

Comment vous installez-vous ?

Je m'installe sur un canapé et je prends des notes sur un cahier, avec un stylo. J'aime bien le contact entre le stylo et le papier : quand ça marche, c'est un plaisir énorme, et quand ça ne marche pas , c'est épouvantable! Ensuite je transcris ces notes sur un magnétophone, pour une personne qui les tape. Après, je les relis, je les corrige et je les redonne au fur et à mesure à taper...

Pourquoi avez-vous besoin d'un magnétophone? Pour retravailler la musique de votre texte ?

Pas du tout ! C'est simplement parce que j'ai une écriture illisible. J'ai déjà du mal à me relire moi-même, alors je ne vais pas demander à quelqu'un d'autre de le faire! Donc, je suis obligée de passer par un moyen de transition...

Comme vous parlez vite, ça ne doit pas être facile de comprendre...

En effet, mais on peut ralentir la vitesse du magnétophone. Cela me donne une belle voix graaave, comme çaaa (FS prend alors une voix lente et grave), on entend tout!

A vos débuts, vous tapiez pourtant vos textes à la machine...

En effet, mais un jour j'ai dû m'arrêter un certain temps, car je m'étais cassé le coude. J'étais en plein livre et je ne pouvais me servir que de trois doigts... J'ai alors commencé à dicter à quelqu'un, j'ai trouvé cela très commode et j'ai adopté le magnétophone...

Ecrivez-vous tous les jours ?

Non. Seulement quand j'écris un livre, ce qui peut durer de trois à six mois, avec des coupures. Quand je suis bien lancée dans le livre et qu'il m'excite, j'écris tous les jours; mais au début, quand ça ne marche pas et que je m'énerve, je n'écris qu'un jour sur trois...

Avez-vous des moments préférés pour écrire ?

Entre minuit et six heures du matin. Je me lève tard, à l'heure du déjeuner, et je traîne pendant la journée : je vois des amis, je vais à droite et à gauche, je lis... Je dîne dedans ou dehors, selon les circonstances, et à minuit, je quitte tout le monde pour me mettre au travail jusqu'à six heures, quand ça marche. Jusqu'à deux heures, dans le cas contraire. Dans ce cas, je sors, je vais promener mon chien et j'essaie de m'y remettre.

Connaissez-vous le syndrome de la feuille blanche?

Non, qu'est-ce que c'est que ça?

L'écrivain qui est face à sa feuille blanche et qui n'arrive pas à écrire...

Oh, oui, je connais ça depuis mes premiers débuts! On a une phrase dans la tête, on l'écrit et elle ne paraît pas bonne, on la rechange... C'est le syndrome de la première phrase qui est affreux. Il y a un moment où il faut se forcer. A ce moment-là je tournicote, je mets un disque... Ecrire, c'est un acte extravagant, ce n'est pas un acte naturel...

Quelles sont vos astuces pour y échapper ?

Je fais comme tout le monde...

Vercors prend un bonbon... et vous?

Ah, oui! Il y en a qui prennent des bonbons, d'autres prennent autre chose, des pilules. C'est variable, mais tout le monde prend quelque chose. Mais on ne va pas échanger nos recettes, bien qu'il soit vrai qu'entre écrivains, on se les échange...

Quelles sont vos recettes?

C'est absolument secret! Je ne vais pas vous révéler mes recettes, et puis quoi encore!

Vous est-il arrivé de ne pas écrire pendant une longue période ?

Ca m'est arrivé de ne pas écrire pendant deux ans...

A ce moment, n'avez-vous pas douté de pouvoir reprendre une plume ?

Cela m'arrive à chaque fois que je commence un livre. Je me retrouve toute abrutie, je n'arrive pas à le faire. J'ai peur de n'avoir plus d'idées, de ne plus pouvoir écrire. Et puis, avec l'effort, ça vient...

Etes-vous très critique avec vous-même ?

Sans doute pas assez (soupir) et à la fois trop. Pas assez sur chaque livre et peut-être trop sur l'ensemble...(long silence).

Vous corrigez-vous souvent ?

Quand j'ai terminé un manuscrit, je le fais lire à deux, trois amis. Je tiens compte aussi de la réaction de ma claviste, qui retape deux fois mon texte. Mais quand je refais une scène, je la réécris entièrement, je jette l'ancienne. Je réécris plus que je ne me corrige...

Avez-vous facilement tendance à jeter ce que vous avez écrit ?

Je n'ai pas un papier qui traîne, je jette tout au fur et à mesure!

Avez-vous déjà réécrit plusieurs fois un manuscrit ?

Ah oui! J'ai réécrit onze fois les cent premières pages de "La femme fardée"!

Vous tenez ainsi compte des avis extérieurs...

Je suis leurs sentiments, non pas sur le contenu du livre, mais sur ses longueurs... savoir s'ils bâillent! Je corrige aussi les détails qu'il faut couper avec une lectrice chez Julliard...

Jugez-vous vos personnages ou les faites-vous évoluer à leur guise?

J'essaie de les diriger. Quand on dit que les personnages vous "échappent", c'est une vieille image. Mais elle est bonne. Il y a un moment où il font un petit peu ce qu'ils veulent. Bizarrement, ils se conduisent ou disent des choses qui sont un peu inattendues, ce qui oblige à changer souvent la fin.

Flaubert a pourtant dit : "Madame Bovary, c'est moi"...

Je n'ai jamais compris dans quel sens il l'avait dit. C'est une vieille question, un vieux débat. De plus, je ne suis pas fascinée par Madame Bovary. C'est un livre fait pour les hommes, par un auteur macho, souvent méprisant envers les femmes...

Pourquoi Flaubert est-il pour vous un auteur "macho"?

Madame Bovary, c'est l'image même de "l'emmerdeuse", telle que la voient les hommes qui n'aiment pas les femmes. C'est le prototype des femmes vues à l'époque par la littérature masculine. Les femmes vivantes ont commencé avec Stendhal, auparavant, c'étaient des objets, des espèces de créatures irréelles, insignifiantes ou puérilement méchantes...

A cet égard, certains de vos personnages vous ont-ils particulièrement déplu?

J'ai créé des personnages déplaisants dans La femme fardée; et puis, au fur et à mesure que le roman avançait, ils me sont devenus sympathiques, plus ou moins touchants, car j'étais assez indulgente avec eux. Je suis ainsi partie avec sept personnages antipathiques; à la fin, il n'y en avait plus que deux !

Dans ce livre, vous en avez pourtant tué un ! Le gigolo..

Oui, mais c'est parce que je ne savais plus quoi en faire... Il m'a échappé. D'autres tombent dans le drame. Dans Un peu de soleil dans l'eau froide, au milieu du livre, je dis au sujet du personnage de Nathalie : "Quand elle vit Gilles, elle l'aima". C'est une situation foudroyante, un peu à la Balzac, qui m'a obligée à la tuer à la fin du livre, en écho à cette phrase !

Accordez-vous une part importante à l'actualité dans votre vie ?

Assez... Je m'intéresse particulièrement à la politique.

Comment intervient votre expérience personnelle dans votre œuvre ?

Comment, je ne sais pas, mais elle intervient forcément. Je crois que toute littérature est une tentative de traduire son expérience personnelle, en l'arrondissant, en la moralisant et en la dessinant mieux. Dans la vie, tout est un petit peu confus, décousu. Toute œuvre littéraire est une manière de donner un sens à tout cela. Ecrire, c'est formuler la vie, c'est imaginer ce que l'on savait déjà.

Arrivez-vous à conclure facilement vos chapitres?

Je ne pense pas tellement aux chapitres. Je conclus les situations, et je fais les chapitres au milieu de mon manuscrit, ou après l'avoir terminé. Je taille à ce moment-là dans le texte, pour les créer.

Etes-vous une "angoissée de la dernière ligne" ?

Oh, non! Pas la dernière. Plutôt la première !

Laissez-vous reposer votre manuscrit un certain temps avant de le reprendre ?

Ca dépend où j'en suis par rapport à mon éditeur, s'il m'accorde des rallonges...

Que vous inspire le mot "Fin" ?

Un mélange de soulagement, de bonne conscience d'avoir fini quelque chose. Mais c'est aussi une tristesse de ne pas avoir écrit Le temps retrouvé et de devoir quitter mes personnages avec lesquels j'ai vécu...

En tant qu'écrivain médiatique, êtes-vous sensible au succès d'un de vos romans lorsqu'il est publié ?

Bien sûr. Lors de la sortie de Bonjour tristesse, je suis tombée dans le bus sur une femme qui lisait mon livre. J'étais fascinée : quelqu'un qui lisait mon premier livre! Mais au bout de cinq minutes, elle s'est mise à bâiller et elle l'a refermé! J'étais dans tous mes états : je suis descendue et je suis rentrée chez moi à pied! (rire mélancolique). L'avantage du succès, c'est qu'il vous débarrasse de l'envie du succès...

Et les critiques ?

Je ne suis plus tellement sensible aux critiques. Il y a trois, quatre critiques qui m'intéressent. Mais les autres, beaucoup moins : à mes débuts, elles étaient plus sur moi que sur mes livres, ça m'a un peu dégoûtée de les lire...

L'image que l'on vous a attribuée, le fait, par exemple, de conduire des bolides les pieds nus, vous a agacée ?

Oui. Cette image a été totalement inventée par un journaliste, qui me l'a avoué d'ailleurs... Et puis ça m'est complètement indifférent, toutes ces histoires touchent vraiment au cliché... (air blasé).

Tout le scandale qui a été organisé autour de votre premier livre "Bonjour tristesse" est-il un poids pesant dans votre vie ?

Pas du tout ! C'est grâce à ce livre que j'ai commencé à être écrivain et que j'ai continué à le devenir. Quant à mon image, elle s'est quand même un peu modifiée depuis cette époque, le scandale du livre est devenu assez relatif. Et heureusement. D'ailleurs, je n'ai toujours pas compris où était le scandale! J'en suis encore étonnée.

Vous avez encore votre côté joueur, tout de même...

Oui, bien sûr. J'ai toujours eu les mêmes défauts et les mêmes qualités. Je suis d'une nature dépensière et je n'ai jamais pensé à faire des économies, ni à me garantir une sécurité quelconque. Je vis sur les avances financières de mon éditeur : quand j'ai un contrat, il me fait vivre pendant deux, trois ans et après quoi, je lui remets mon livre...

Le besoin pécuniaire vous pousse-t-il à écrire ?

Ca me pousse aussi à écrire. C'est une nécessité qui devient un plaisir. Cependant, comme je suis d'une nature relativement fainéante, je ne sais pas si j'aurais écrit autant sans cette nécessité... Etant relativement indifférente à certaines valeurs -je n'aime pas les bijoux, et toutes ces choses-, mon argent est libre, donc vite dépensé. Simplement, j'en parle peu, pour rassurer mes banquiers...

Vous avez d'ailleurs dit : "Je prends des airs pieux devant mon banquier"...

Oui ! Devant mon banquier, devant mon éditeur, devant les flics... Je me tiens comme il faut! Je me suis même fait interdire de jeux pendant cinq ans...

C'est vous-même qui avez pris l'initiative de vous faire interdire de jeu ?

Tout à fait. Je n'ai pas "été" interdite de jeu. Pour cela, il faut avoir triché. Ce n'est pas mon cas. J'ai demandé à être interdite, en envoyant une lettre au ministère de l'Intérieur. C'est une demande que l'on fait pour cinq ans. Si on veut la lever au bout de cette période, il faut réécrire une autre lettre, ce que j'ai fait au bout de quatre ans, car chaque fois que je passais dans les couloirs d'un casino et que j'entendais ce bruit de jetons sur un tapis, j'étais désespérée!

Pourquoi avoir alors écrit cette lettre d'interdiction ?

C'était un soir d'ivresse, j'étais avec un ami, nous avions beaucoup perdu... On s'est dit que c'était trop bête. On a alors écrit cette lettre tous les deux. Ensuite, c'était trop tard, la lettre était partie...

Vous sentez-vous isolée par les exigences de votre métier ?

Pas du tout. Quand je travaille, je suis seule. C'est très difficile et très pénible, surtout au début. Mais c'est compris dans le forfait...

Lisez-vous beaucoup vos contemporains ?

Oui, pas mal...

Y prenez-vous du plaisir ?

Pour certains, oui. J'aime beaucoup la littérature américaine : Roth, Murdoch, Styron, Bellow... En France, j'aime beaucoup Jacques Laurent, Duras, Bernard Frank.

Comment jugez-vous le milieu littéraire actuel par rapport aux années cinquante, soixante ?

C'était plus brillant à cette époque que maintenant. Les auteurs comme Sartre, Malraux et compagnie étaient plus décisifs... Actuellement ça manque un peu de chef de file. Pour qu'il y ait un grand écrivain, il faut qu'il y ait une morale quelconque. Du temps de Sartre, Malraux, Camus, on sortait d'une guerre assez manichéenne. Il y avait les méchants et les gentils, et la peur de tomber sous le règne des méchants. Il y avait des problèmes moraux, politiques avec la Russie, ce qui donnait une morale automatique aux gens qui pensaient un peu. Mais maintenant, tout est vague, sous le signe de la télévision et de l'argent. Actuellement, les grands talents sont soit en France et alors ils ne sont pas encore découverts, soit à l'étranger. Des gens comme Lawrence Durrel et Günter Grass, ce ne sont pas des poids "moyens"...

Aimez-vous Peter Handke ? (allusion à l'émission Caractères où cet auteur a critiqué grossièrement son dernier roman, dans l'indifférence surprenante et hilarante de Françoise Sagan)

Ah, oui, Handke? J'ai trouvé extrêmement vicieux de ma part de sourire quand il critiquait mon livre, et ensuite de faire des compliments des siens quand on parlait de lui. A sa place, j'aurais été ivre de rage !

Comment expliquez-vous qu'il n'y ait pas actuellement de grands écrivains en France ?

Je ne sais pas. Actuellement les gens sont plongés dans une espèce de doute général, ce qui les empêche d'écrire des choses définitives... Mais ça reviendra.

Regrettez-vous la disparition des écoles littéraires ?

Le Nouveau Roman a été une catastrophe pour la littérature française à l'étranger. Les gens ont arrêté de lire la littérature française à cause de ces écrivains. J'aime beaucoup Robbe-Grillet, Simon et Sarraute, mais leur école était barbante au yeux de beaucoup. Donc, je ne regrette pas sa disparition. Cependant, je regrette l'école des Surréalistes. Ca devait être très amusant et très passionnant de faire partie de l'école de Breton, à condition d'en sortir. Mais maintenant, les écrivains doivent à la fois s'exhiber à la télévision et écrire, qui est un acte secret. C'est très pernicieux...

Avez-vous des relations épistolaires avec vos confrères ?

Pas du tout. J'écris les lettres les plus ennuyeuses de la terre! Quelquefois, je téléphone ou j'envoie un fax pour m'amuser. J'ai plein d'amis qui s'envoient des sottises par fax : des phrases, des extraits de journaux... C'est l'école des "faxeurs", si vous voulez...

Avez-vous des entrevues fréquentes avec vos confrères?

Non. Pratiquement jamais. Quand je déjeune avec Bernard-Henri Lévy ou Bernard Frank, nous ne nous voyons pas en tant qu'écrivains, mais en tant qu'amis. Les écrivains, je les rencontre par hasard.

Que pensez-vous de la disparition des salons littéraires?

Ca devait être très amusant aussi, à condition de ne pas y rester trop de temps. Dès qu'on prend des habitudes semi-littéraires, on est fichu. Ce qui était intéressant, c'était d'échanger des bêtises ou des phrases définitives. Il y a un certain goût du superficiel qui a disparu, et qui a été remplacé par un goût d'actualité, audiovisuel, qui est beaucoup moins puissant. C'est dommage. L'écrivain est plus solitaire maintenant...

Quels conseils donneriez-vous à un jeune écrivain débutant?

Pour "réussir", comme on dit, ou pour écrire?

Pour écrire...

Il faut lire. Beaucoup. Et puis ne pas penser que la littérature passe par la télévision, ou automatiquement par le succès. Il faut travailler et mener une vie la plus isolée possible des médias.

Lequel de vos romans voudriez-vous qu'il lise en premier?

Je laisse faire le hasard... La femme fardée ou Des bleus à l'âme sont ceux qui me gêneraient le moins...

Avez-vous écrit le livre que vous vouliez ?

Non! Le prochain, peut-être. J'espère! Ce qui fait qu'il va y avoir des malheureux qui vont devoir supporter ma prose jusqu'à la fin...

Quelle expérience tirez-vous de votre œuvre ?

Il y a des roueries que je ne pratique plus. Il y a deux, trois choses que j'ai comprises, mais je n'ai pas appris grand chose. Je n'ai aucun regret, aucun de mes livres ne me fait honte. Mais il y en a que j'ai un peu bâclés...

Pouvez-vous me citer ces livres que vous estimez avoir bâclés ?

Non !

Si c'était à refaire, que feriez-vous ?

Je serai à nouveau écrivain, bien sûr. Je ne sais faire que ça !

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