A travers
la trentaine d'essais et romans qu'il a publiés, on ressent
chez Dominique Fernandez une finesse et une précision
d'écriture, qui donnent à ses livres un côté pictural et
musical.
Né en 1929, ce normalien membre
de l'Académie Française est
toujours passionné par l'Italie, pays que l'on retrouve dans la
majorité de ses romans et les beaux livres qu'il publie sur
l'art baroque ou l'Europe romantique.
Issu d'une famille d'écrivains,
il publie son premier livre, Le roman italien et la crise
de la conscience moderne, à vingt-neuf ans, après sa
découverte enchanteresse du pays de Dante. Porporino
obtient le Médicis en 1974, Dans la main de l'ange le
Goncourt, en 1982.
Dominique Fernandez,
l'Italie a joué un grand rôle dans votre carrière...
En effet. J'ai découvert
ce pays à l'occasion d'un voyage organisé par l'Ecole Normale
en 1950. J'avais vingt ans. A cette époque, je n'avais jamais
vu la Méditerranée. Enfant, on m'avait amené sur une plage
ignoble de la Manche... Et tout m'a ébloui : Rome, Assise,
Florence, les Italiens. Après ce voyage, je devais normalement
passer l'Agrégation de lettres classiques mais j'ai tout
changé. J'ai tellement aimé ce pays que j'ai décidé
d'apprendre la langue, et d'en faire mon métier! J'ai alors
passé l'Agrégation d'Italien, j'ai fait une thèse sur Pavese
et j'ai été envoyé deux ans en Italie, comme étudiant. C'est
là que j'ai vraiment découvert ce pays. Je suis resté un an à
Pise, puis à Rome. C'était merveilleux...
Ensuite, vous avez été
professeur de français à Naples en 57-58. Et c'est votre
seconde découverte de l'Italie...
Oui. l'Italie commence
réellement à Naples, et continue au Sud, avec la Sicile... Le
Nord, c'est l'Europe, tandis que Naples, c'est un autre monde.
C'est l'Orient, c'est l'Afrique, c'est tout ce qu'on veut! Et
puis, c'est la seule grande ville d'Italie, Rome, c'est un
village. Naples a un plan d'ensemble, un urbanisme formidable,
c'est une ville du XVIIIe siècle, avec des rues étroites et de
grandes tranchées parallèles. Son site est magnifique, ainsi
que ses palais... Et puis les Napolitains sont les plus
intelligents du monde, par leur art de vivre, leur fatalisme,
leur côté débrouillard et leur gentillesse! C'est
extraordinaire. C'était, au XVIIIe siècle, ce qu'est New York
aujourd'hui. Ville "abourgeoise", qui vit à l'âge
préindustriel, monde où tout peut arriver. Une espèce de
labyrinthe où l'aventure est sans cesse au coin de la rue, une
vraie tribu, avec des mœurs à la fois étranges et
fascinantes...
Qu'est-ce qui vous a
poussé à écrire à votre retour d'Italie?
Un besoin que j'ai eu dès
l'âge de onze ans, l'envie de raconter des histoires. Je
lisais beaucoup, j'étais dans une famille d'écrivains : j'ai
toujours vécu avec des livres, pour moi, c'était naturel!
Comment voyiez-vous
votre avenir étant jeune?
A onze ans, on croit ferme
à tout ce qu'on fait, ce qui n'empêche que je ne voulais pas
dépendre de ma plume. Comme j'étais issu d'un milieu
littéraire, je connaissais trop de gens qui avaient capoté, ou
qui étaient forcés d'écrire n'importe quoi pour vivre. J'ai
alors décidé que je serais professeur d'université. Bref, le
métier idéal, qui vous donne du temps et qui vous assure
l'intendance. A dix-huit ans, je doutais peut-être plus... Et
puis j'ai publié un essai sur "Le roman italien et la crise de
la conscience moderne" en 1958, à l'âge de 29 ans...
Quels sont les auteurs
qui vous ont influencé dans votre jeunesse?
J'adore Dumas et Stendhal.
Mais j'ai aussi une grande passion pour les Russes : Tolstoï,
Dostoïevski, Tourgeniev, Gogol, Pouchkine. Ce sont les plus
grands narrateurs. Et puis les anglo-saxons, comme Dickens,
Stevenson, Conrad, Melville, Defoë, et les romantiques
allemands : Kleist, Novalis, ou Thomas Mann... Enfin, les
Grecs et les Latins : j'ai lu lors de mes études, et dans le
texte, Homère, Euripide, Platon, Virgile. Je relis beaucoup de
classiques, pour me décrasser de tous les manuscrits ou des
livres que je lis. C'est un besoin vital.
Vous n'avez cité aucun
auteur italien. Pourtant, la vie de Pasolini vous a inspiré
Dans la main de l'ange, avec lequel vous avez eu le prix
Goncourt...
Oui, mais je n'aime pas du
tout l'écrivain. C'est l'homme qui m'a fasciné, par sa vie,
son destin et son assassinat. Comme disait Oscar Wilde : "Il a
mis son talent dans son œuvre et son génie dans sa vie".
L'Italie, pour moi, c'est surtout l'opéra, la musique.
Avez-vous déjà voyagé,
spécialement pour situer une de vos scènes?
Très souvent, car tous mes
romans partent de villes. Il y a eu Naples pour Porporino,
Bologne et Rome pour Dans la main de l'ange,
Lübeck, Vienne, Berlin pour L'amour... Pour L'école du Sud, c'était la
Sicile, Agrigente et l'Auvergne... Je note le nom des rues, je
fais des plans, je relève les inscriptions dans les
cimetières, etc. Tout ça nourrit mon imagination.
Préparez-vous vos
livres longtemps à l'avance?
J'ai besoin d'une longue
incubation avant d'écrire mes livres. Ils étaient tous dans ma
tête, à l'âge de dix-huit ans, sans que je le sache. Chacun
incube en même temps, et puis il y en a un qui éclot en une
journée. C'est très rapide. A ce moment, j'achète un carnet
d'écolier à spirale, je mets un titre et je tiens le journal
de mon roman. J'y écris des plans provisoires, des bouts de
chapitre, des citations... Ensuite, je me mets à écrire. Ca
dure deux, trois ans comme ça.
Vous n'avez jamais
écrit plusieurs romans en parallèle?
Non. Mes notes ne
concernent qu'un seul roman. Quand je tiens ce carnet, je ne
m'en sépare jamais, je l'ai toujours sur moi. Les décisions,
les idées viennent un peu par hasard... Mais il m'est arrivé
d'écrire un roman et plusieurs essais sur une longue période
de quatre ans...
Avez-vous déjà été
inspiré par un autre sujet que celui sur lequel vous
travailliez?
Non. Quand je fais un
livre, je vais jusqu'au bout et rien ne peut interférer. Ma
tête est organisée de façon à refuser tout ce qui n'afflue pas
dans mon roman. Un livre, c'est quelque chose qui vous obsède,
vous hante, vous absorbe tout entier...
Consultez-vous des
documents pour vous inspirer?
Oui. Quand j'ai écrit Porporino,
qui est un livre sur les castrats à Naples, j'ai consulté des
livres sur l'époque, sur l'opéra... Quelquefois je me sers de
photos, mais j'ai une bonne mémoire visuelle. Mes livres sont
dans ma tête...
Quand vous rencontrez
un sujet qui vous inspire, laissez -vous tout tomber un
instant pour vous y atteler ou bien reportez-vous cela à plus
tard?
Ah oui! Sauf si je suis en
train de parler avec quelqu'un, bien sûr... Mais je pense déjà
à cette idée, je la retiens par cœur et puis je la note.
Suivez-vous un plan ou
laissez-vous courir votre plume?
On peut écrire une
nouvelle sans plan, mais pas un roman, non. Comme la plupart
de mes livres sont gros -quatre à cinq cents pages- je fais
des plans provisoires, de vagues organigrammes : je connais
les moments forts du roman, les scènes principales. Il y a une
courbe idéale dans une histoire, mais au fur et à mesure que
j'avance, tout ça se ramifie, et le plan se modifie
indéfiniment. En fait, il n'est prêt qu'une fois le roman
terminé! Quand on écrit, chaque phrase peut être modifiée, car
chaque mot peut vous entraîner ailleurs. C'est très
mystérieux...
Avez-vous déjà modifié
la fin d'un de vos romans?
Oui. C'est souvent en
cours de route que je la trouve...
Quel est votre endroit
favori pour écrire?
Chez moi, à mon bureau,
entouré de mes affaires, dans le silence. Je serais incapable
d'écrire ailleurs. Il m'arrive de prendre des notes en voyage,
c'est tout. Je travaille souvent l'été, à la campagne, dans ma
maison isolée, près de Perpignan, dans une solitude totale.
Avant, j'étais en Sicile...
Avez-vous besoin d'une
ambiance particulière pour travailler?
Mon bureau, entouré de mes
dictionnaires, mes gommes, mes papiers et des objets que
j'aime...
Comment procédez-vous?
J'écris tout d'abord à la
plume, puis je me corrige beaucoup. Ensuite, je tape une
première fois, ce qui fait que je me corrige une deuxième
fois. C'est une tape active. En tapant, j'ai une approche
différente de mon manuscrit, j'aperçois des répétitions, des
lourdeurs...
Avez-vous une plume
fétiche?
Non. J'ai des plumes, des
stylos, de différentes couleurs, parce que je bricole pas mal
mes manuscrits.
Vous êtes assez
maniaque!
J'aime bien que mon texte
soit propre, si je vois trois ou quatre ratures, je retape.
J'accumule ainsi des milliers de pages! S'il y a beaucoup de
ratures, c'est qu'il y a quelque chose d'embarrassé, qui
risque de rester. Plus c'est net, plus je vois ce qui ne va
pas, j'élimine peu à peu les scories. C'est comme ça que je
travaille.
Avez-vous des moments
préférés pour écrire?
Le matin, uniquement! Je
me lève vers sept heures et je me mets au travail de huit à
treize heures. Je mets alors mon répondeur, et je m'isole!
L'été, je travaille plus facilement, sans fatigue, et je
retravaille parfois l'après-midi. A Paris, j'écris des
articles...
Ecrivez-vous tous les
jours?
Quand je suis sur un
livre, oui. C'est comme le piano, il faut en jouer
régulièrement. Il y a même des phrases qui me viennent en
dormant! Quand j'ai bien travaillé une journée, et que
j'achoppe sur une difficulté, le lendemain matin, il arrive
que la solution se présente toute seule. Mon problème, c'est
la concentration : il faut que j'élimine tout ce qui ne rentre
pas dans mon roman. Il faut habiter son livre complètement, en
ignorant le milieu extérieur...
D'où la nécessité
d'écrire tous les jours...
Oui. A Paris, c'est très
difficile, parce que vous êtes sollicité continuellement : le
boulot, les amis, les spectacles... Si on sort de son livre,
même vingt-quatre heures, l'effort pour y rentrer vous bouffe
déjà une bonne partie de la journée. L'idéal serait d'écrire
un livre de A à Z, d'un seul coup, comme Stendhal...
Tenez-vous un carnet de
bord afin de vous retrouver dans l'évolution de vos
personnages?
Bien sûr ! Je fais une
fiche par personnage. Pour ne pas m'embrouiller, je note son
âge, sa filiation...
Les jugez-vous ou les
faites-vous évoluer à leur guise?
C'est difficile de
répondre à une telle question. Certains prétendent que leurs
personnages leur échappent, mais c'est quand même l'auteur qui
tire les ficelles...
Y en a-t-il qui vous
ont particulièrement déplu, que vous avez eu du mal à
maîtriser?
Non. sinon, ils sortent du
livre. J'en supprime parfois pour cette raison! Ou bien j'en
rajoute, je les dédouble... C'est tout un travail de cuisine
que je fais au fur et à mesure. Si je choisis des personnages,
c'est qu'ils me plaisent, ou qu'ils représentent un déplaisir
qui me plaît...
Le roman est pour vous
une forme de liberté?
Je ne dirais pas que c'est
une liberté. C'est avant tout une nécessité, une contrainte,
un devoir. Je ne pourrais pas ne pas écrire. Chaque roman est
une étape personnelle, vitale. C'est une thérapie. Il y a
beaucoup de personnages que j'ai tués parce que c'étaient des
gens dont je voulais me débarrasser dans la vie! C'est pareil
pour tout romancier. On tue, on se suicide, pour ne pas le
faire dans la vie. C'est un vieux truc : écrire des romans
pour résoudre des cas aigus...
Dans L'école du Sud
et Porfirio et Constance, vous parlez d'ailleurs de
votre père, Ramon Fernandez, qui a été compromis pendant la
guerre...
Oui... (silence). J'ai
attendu quarante ans pour faire ce roman. J'ai peu connu mon
père car j'avais quinze ans quand il est mort, en 1944. Ce
sujet a incubé en moi, il s'est nourri de mon expérience
pendant quarante ans. J'ai éprouvé le besoin de l'écrire le
soir même où est morte ma mère, car sa présence m'empêchait de
penser à ce roman. Je ne l'aurais jamais fait de son vivant...
Accordez-vous une part
importante à l'actualité dans votre vie?
En tant qu'écrivain,
aucune. En tant que citoyen, oui. Aujourd'hui, on est
surinformé, on est assailli de toute part, on sait à tout
moment ce qui se passe partout dans le monde, guerres,
révolutions, épidémies, tremblements de terre, catastrophes
variées, de quoi se décourager d'écrire sa petite histoire,
forcément moins dramatique. Pour lire correctement les
journaux, il faudrait y passer toute la journée, alors je
leur consacre dix minutes par jour, ça suffit! C'est trop de
temps perdu pour l'écrivain. Si on se met à vivre le monde
entier, on ne peut plus écrire. De plus, mes romans se
passent dans d'autres siècles : Porporino, c'est
Naples au XVIIIe, L'amour, l'Allemagne au XIXe...
Il y a quand même des
situations que vous pouvez transposer dans un autre siècle...
Oui, bien sûr... Mais je
ne suis pas à l'affût de l'actualité, je n'en ai pas besoin.
Comment intervient
votre expérience personnelle dans votre œuvre?
Elle est capitale, c'est
même le principal. Elle intervient d'ailleurs après un
certain temps. J'ai ainsi quitté Naples en 1958, alors que
j'ai écrit Porporino
en 1972. L'expérience devient une matière littéraire très
longtemps après. C'est toute la différence avec le
journalisme.
Arrivez-vous à conclure
facilement vos chapitres?
Oui. Mais souvent je
supprime les trois dernières lignes, parce que c'est un peu
ronflant. on conclut pour conclure, on veut trouver une
formule, alors que si ça s'arrête un peu avant, ou si ça ne
s'arrête pas, c'est beaucoup mieux!
Connaissez-vous le
syndrome de la feuille blanche?
C'est une faribole! A
force d'écrire, on acquiert une certaine part de métier, ce
qui fait qu'en cas de panne, on arrive à résoudre ce problème,
et à ne pas s'obstiner sur un passage qui est sans issue. Il y
a tout de même des jours où, en effet, il est plus dur
d'écrire. Mais si je suis en bonne forme, il n'y a pas de
raison d'éprouver cette difficulté. Je sais avant d'écrire ce
que je veux écrire, il y a des difficultés techniques qui se
présentent, des jours où il n'y a pas de grâce, où je ne
trouve pas la formulation exacte, mais le livre étant dans ma
tête, il suffit d'avoir la patience de le dérouler...
C'est donc une question
d'entraînement...
Oui. Il y a un côté
sportif dans l'écriture : il y a des jours où vous faites bien
votre cent mètres et d'autres pas. Il y a une souplesse du
cerveau comme il y a une souplesse musculaire, et ça, on
l'acquiert avec une certaine discipline. Il faut être sobre
pour écrire!
Que vous inspire le mot
"Fin"?
Rien! Je ne l'écris pas.
Quand une chose est finie, elle ne l'est pas vraiment tant
qu'elle n'est pas imprimée.
Combien de temps
laissez-vous reposer votre manuscrit, avant de le revoir?
Je ne donne jamais un
manuscrit directement à mon éditeur. Je prends le temps de le
corriger. Je le relis souvent...
Vous corrigez-vous
souvent?
Je mets plus de temps à me
corriger qu'à écrire, parce que je ne veux pas briser la ligne
du récit. Quelquefois je supprime un chapitre, ou je réécris
plusieurs pages. On s'aperçoit de ce qui ne va pas avec le
recul. Tout ce qui est neuf vous paraît bien. Mais, au bout de
trois mois, vous vous rendez compte que c'est mauvais. Le
temps est absolument indispensable, pour regarder d'un œil
neuf, comme si c'était le texte d'un autre.
Etes-vous sensible aux
critiques et au succès d'un de vos romans lorsqu'il est
publié?
C'est très complexe. Quand
j'ai commencé à écrire, j'ai décidé que je n'en tiendrais pas
compte. Echec ou succès, pour moi, c'était pareil. Le fait que
personne ne lise mes premiers livres, ne me décourageait pas
du tout, à la différence de beaucoup. Je voulais écrire pour
écrire. C'est tout. Le succès ne m'a pas du tout troublé.
Le succès ne vous
laisse pas indifférent...
Bien sûr, j'en suis ravi!
Mais profondément, ça ne me fait ni chaud ni froid. J'ai un
plaisir à écrire. C'est le moment où j'écris un livre qui
m'intéresse. A ce moment, ça m'est complètement égal de savoir
ce que les autres en penseront. C'est mon affaire. Quand le
livre est terminé, il devient un objet qui m'échappe, je m'y
intéresse alors comme à un livre de mes amis. Je lis bien sûr
les articles qui me concernent, mais ce n'est pas vital. Si on
m'égratigne, évidemment, je ne suis pas content! Mais je les
oublie très vite, comme les éloges, d'ailleurs...
Certaines critiques
vous ont-elles fait évoluer?
Jamais! Il n'y a pas de
critiques vraiment intéressantes. Le vrai critique
d'autrefois, qui réfléchissait, qui remettait un livre dans
son contexte, n'existe plus. Maintenant, ce sont des critiques
au jour le jour, des impressions, des humeurs...
Etes-vous très critique
avec vous-même?
J'essaie de l'être, sans
doute pas assez! J'essaie de me lire comme si j'étais
quelqu'un d'autre...
Avez-vous réécrit ou
jeté un manuscrit?
Oh, oui! Puisqu'il y en a
que j'ai perdus, j'ai dû les jeter! Mais ils n'étaient pas
achevés. En revanche, j'ai fait une version entièrement
nouvelle de "L'étoile rose", ce qui représentait quatre cents
pages. J'ai mis un an pour le réécrire. Il y a tellement de
mauvais livres, que ce n'est pas la peine d'en rajouter!
Lisez-vous beaucoup vos
contemporains?
Je dévore des livres de
par ma profession d'éditeur, de critique au "Nouvel
observateur". Je lis des centaines de livres par an, certains
pas jusqu'au bout...
Comment jugez-vous le
milieu littéraire actuel?
La différence,
aujourd'hui, c'est qu'il n'y a plus d'écoles. Je trouve que
c'est un gros progrès. Le Nouveau Roman a été la dernière
école, et tant mieux. Maintenant, il y a des écrivains
individualistes, ce qui me paraît intéressant, comme Hervé
Guibert, Pierre Combescot, François-Olivier Rousseau, Michel
Braudeau...
On parle beaucoup de
Modiano et Le Clézio...
Modiano ne m'intéresse pas
beaucoup, c'est très bien, mais un peu fluet...
Pourquoi ne
regrettez-vous pas la disparition des écoles littéraires?
C'est la plaie de la
France. Le Nouveau Roman a bouché l'horizon pendant vingt-cinq
ans, il a stérilisé beaucoup de jeunes écrivains par le
terrorisme intellectuel qu'il a exercé, a la fois dans le
style et la critique littéraire. Il y a eu beaucoup de gens
qui ont été méconnus, parce qu'ils n'appartenaient pas à cette
école.
Et les salons
littéraires?
Je n'aime pas les
"pia-pia". La littérature, il faut la faire, il ne faut pas en
parler. Je ne parle d'ailleurs jamais de littérature avec mes
amis écrivains! Ca ne sert à rien...
Avez-vous des relations
épistolaires ou des entrevues fréquentes avec vos confrères?
Très peu. Je suis très
paresseux pour écrire. Et puis je hais le téléphone. Je suis
assez solitaire.
Vous sentez-vous isolé
par les exigences de votre métier?
Heureusement! C'est ce que
j'aime par dessus tout. Ecrire, c'est faire une œuvre seul,
en marge des autres...
Quels conseils
donneriez-vous à un jeune écrivain débutant?
Il faut écrire tous les
jours, lire beaucoup. On ne peut pas écrire sans être cultivé
: on entre dans une famille où c'est le mot qui compte.
Ensuite, il faut être insensible à l'échec et au succès, ce
qui est presque impossible à obtenir. J'ai vu des quantités de
jeunes écrivains qui, à la suite de l'insuccès de leur premier
livre, ce qui est de plus en plus fréquent, se découragent.
S'il veut écrire pour être célèbre, gagner de l'argent, qu'il
fasse autre chose! C'est un métier austère, où il y a très peu
de chances de succès : un sur mille réussit... Alors il faut
être sûr de sa vocation et tenir pour indispensable l'acte
d'écrire...
Quel message
voudriez-vous lui transmettre?
Ne pas chercher à vivre de
sa plume. Je connais trop d'écrivains qui écrivent n'importe
quoi, qui font des piges à droite et à gauche... Personne ne
vit de sa plume en France, à part de très mauvais écrivains
que je ne citerai pas, qui font de gros tirages. Il faut avoir
un métier qui vous plaise et qui vous laisse le temps de
travailler : dans le professorat, le journalisme...
Ecrire est un besoin
irrépressible?
Ah, oui! Accompagné du
sentiment que ce sera assez difficile et ascétique, avec peu
de reconnaissance. Il faut accepter de ne pas être reconnu
pendant très longtemps. André Gide disait à un jeune écrivain
: "Si vous n'êtes pas rentier, ça ne vaut pas la peine
d'essayer d'écrire!" Il n'y a plus de rentiers, alors je ne
sais pas comment on fait! La plupart des jeunes écrivains
confondent l'œuvre littéraire et le moyen de réussite
sociale.
Lequel de vos romans
voudriez-vous qu'il lise en premier?
Franchement, je n'en sais
rien. Pour moi, c'est le prochain qui compte! Et puis, c'est
le lecteur qui choisit...
Citez en un, à titre
d'exemple...
(Long silence). Je
préférerais peut-être L'Amour. C'est un voyage initiatique
d'Allemagne en Italie.
Avez-vous des regrets
dans votre vie?
Ne pas savoir jouer au
piano... Tous droits réservés ©
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