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Lucien Bodard
(1914-1998)
Entretien réalisé à Paris le 13 février 1992
 

Né en Chine, Lucien Bodard voulait suivre la même voie que son père, diplomate en Chine, au Sichuan puis au Yunnan. Les aléas de la guerre lui ont forgé un autre destin. Journaliste pour le France Soir de Pierre Lazareff à la Libération, il embrasse la carrière de grand reporter pour l'Indochine de 1947 à 1955, puis Hong-Kong jusqu'en 1960.
Cette vie de baroudeur nourrira son œuvre, bercé par les eaux du Mékong et du Yang-Tseu-Kiang. Soutenu par Joseph Kessel et Roger Vailland, il acquiert ses lettres de noblesse avec ses enquêtes sur le régime de Mao, alors encensé en France (La Chine de la douceur en 1958) et les trois tomes qu'il consacre à la débâcle de la guerre d'Indochine qui ne lui feront pas que des amis...
Dans les années soixante-dix, il pose définitivement ses bagages à Paris et se consacre à une œuvre plus romanesque, encouragé par son éditeur et ami Jean-Claude Fasquelle. Parmi ses nombreux ouvrages à succès, Monsieur le consul obtient le prix Interallié en 1973 et Anne-Marie le Goncourt en 1981. Une vie bien remplie, qui s'éteint en 1998, après 84 ans à de légendes et d'aventures...

Lucien Bodard, la Chine et l'ex-Indochine jouent un rôle capital dans votre œuvre. Qu'est-ce qui vous attire dans ces pays?

L'atmosphère. C'est un monde, un raisonnement particuliers, des mœurs différentes... C'est un autre univers, complexe, riche. C'est une excellente matière romanesque, qui n'a cessé de nourrir mon inspiration...

Dès vos premiers livres, comme "La Chine de la douceur" et "La Chine du cauchemar", parus en 1958 et 1961, on vous a reproché d'avoir un regard froid et cruel sur ces pays. Expliquez-vous...

(silence). C'est vrai... mais c'est ainsi que j'ai vu les choses. Et je ne crois pas qu'il faille voir les choses avec ingénuité. Quand j'étais reporter en Chine, au moment où j'ai vu s'établir le maoïsme, j'ai vu passer des masses de délégations et de littérateurs français qui étaient immédiatement subjugués. C'était une époque terrible, où Mao voulait enlever à l'homme son ego et exigeait des Russes qu'ils menacent d'employer la bombe atomique pour écarter la flotte américaine du détroit de Formose. J'ai ainsi écrit ces deux livres pour montrer qu'il suffisait qu'en Chine l'on resserrât les boulons pour que la douceur devînt un cauchemar. Et puis les années soixante, mai 68 ont encensé le maoïsme. Face à cet engouement, je donnais en effet une version beaucoup plus dure des choses. Mais, maintenant, cela ne pose plus de problèmes, tout le monde étant devenu de mon avis...

Roger Vailland vous a beaucoup aidé à cette époque...

Oui... (émotion). Je l'ai rencontré au bar Le Pont royal. Le soir, il y réunissait toute sa bande, et un jour il m'a abordé pour me parler de mes livres sur la Chine qui venaient de sortir : "J'ai aimé vos livres, m'a-t-il dit, je vous soutiendrai". J'étais très critiqué par la gauche à cette époque-là. Ces deux livres avaient provoqué un tollé. J'étais l'infâme... (rires). Roger Vailland, qui avait été communiste, en était revenu. Il m'a alors promis qu'il écrirait un article pour me défendre. Nous avons ainsi été très amis pendant plusieurs mois...

 Cet article, il n'a jamais pu l'écrire...

Oui... Malheureusement, notre amitié n'a pas duré longtemps: il est mort alors que j'étais au Brésil, pour un reportage sur le massacre des Indiens d'Amazonie. En dépit de sa longue maladie, un cancer, il a essayé d'écrire cet article, avec un acharnement exemplaire. C'était pour lui une question d'honneur. Mais il est mort avant d'avoir pu le terminer, et je ne l'ai jamais revu...

Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire?

L'envie d'écrire m'est venue relativement jeune, vers vingt-cinq ans. Mon premier livre raconte mon évasion de France en 1943, vers l'Espagne, le Maroc, puis l'Algérie et Londres, pour rejoindre les Forces Françaises Libres. J'étais un farouche anti-collabo et je ne tenais pas à me trouver en Allemagne, au STO (NDLA : Service du travail obligatoire)... Ce récit, intitulé "La mésaventure espagnole", est paru en 1946. Et puis je suis devenu grand reporter pour le France-Soir de Lazareff, je suis resté presque quinze ans en Extrême-Orient, j'ai oublié les livres.

Entre "La mésaventure espagnole" et "La Chine de la douceur", il s'est écoulé près de douze ans. L'écriture ne vous a-t-elle pas manqué?

Non, car j'étais alors en plein journalisme. C'était à ce moment-là un métier important, l'influence des journaux n'avait pas encore été volée par la radio et la télévision. C'était passionnant de partir, de plonger dans les événements, à chaud, d'en tirer des dépêches, d'arriver à les transmettre à dix mille kilomètres. A cette époque, les titres de France-Soir faisaient les nouvelles. C'était amusant. Il s'agissait d'avoir un titre, de trouver une matière, un style, bref, faire ce qu'on appelait une "story"...

Doutiez-vous alors de votre avenir littéraire?

Je n'y pensais pas. J'étais complètement pris par le journalisme. Ce n'est qu'au bout de douze ans, à la suite de mes reportages en Chine, que j'ai éprouvé le besoin d'en tirer des livres. C'était assez fréquent à cette époque, c'est ce qu'avaient fait Albert Londres et Kessel. J'ai alors repris mes articles et j'en ai fait un livre, je suis passé de la "story" journalistique à la "story" littéraire, en publiant à la suite "La Chine de la douceur" et "La Chine du cauchemar"...

Quels sont les auteurs qui vous ont marqué dans votre jeunesse?

(silence). Les grands reporters comme Londres et plus tard Kessel. Kessel m'a d'ailleurs beaucoup poussé. Il a fait de grands éloges de moi dans "France soir", il m'a aidé, mais je ne l'imitais pas. Chacun avait son style, son imagination, sa vision des événements. Et puis je lisais beaucoup de "classiques" : Maupassant, Tolstoï, Dostoïevski, les Américains...

Comment voyiez-vous votre avenir étant jeune?

Je voulais être diplomate, comme mon père. La guerre m'a fait journaliste. Quand je suis arrivé à Londres, aux Forces Françaises Libres, on m'a vite jugé fort incapable d'action guerrière et l'on m'a chargé d'appliquer les ordonnances sur la presse édictées à Alger : supprimer les journaux collabos, créer des journaux résistants, etc. Après le débarquement en France, j'ai fait ce travail puis je suis entré à l'Agence France-Presse. Dans la foulée, j'ai ensuite travaillé pour France-Illustration et puis j'ai été engagé par Lazareff... La suite, vous la connaissez...

 Vous dites avoir toujours voulu être diplomate. Pourtant, vous avez été bercé durant toute votre jeunesse par des écrivains comme Saint-John Perse, Claudel, Giraudoux ou Morand, que fréquentaient vos parents dans le salon des Berthelot...

Je fréquentais ce salon sous la houlette de ma mère, Anne-Marie, et j'entrevoyais ces écrivains prestigieux. Mais j'étais tout jeune : j'avais douze, treize ans, je faisais tapisserie, je jouais au mah-jong et ils ne m'ont pas donné envie d'écrire. Je pensais plutôt entrer au Quai (d'Orsay). Je n'ai jamais été influencé par rien, ni œuvre ni modèle, dans ma recherche de l'écriture.

Accordez-vous toujours une part importante à l'actualité dans votre vie?

Non. Je ne décris pas le présent, l'immédiat, et l'actualité n'intervient dans mes livres qu'avec du recul. Je fais ainsi une consommation très mesurée des journaux et de la télévision. Et puis l'actualité en Extrême-Orient ne m'intéresse plus beaucoup...

Pourquoi ne suivez-vous plus l'actualité de ces pays que vous avez pourtant bien connus?

Tout simplement parce qu'à un certain moment j'en ai eu assez... J'ai été en Indochine de 1948 à 1955, j'en ai d'ailleurs été expulsé, et puis j'ai été à Hong-Kong de 1955 à 1960. Et alors, là, je me suis mis dans un autre bain, le bain chinois. Et j'ai laissé tomber le Vietnam, après avoir écrit tout de même trois livres (cinq tomes en Folio)... Mais j'ai oublié tout cela

Votre expérience personnelle intervient tout de même dans votre œuvre. Un certain nombre de vos livres sont autobiographiques...

(silence). Oui... encore que j'y aie une vision personnelle du monde. Et puis la mémoire est pleine de trous, on ne garde que les choses fortes... Tout est dans la déformation et la recréation de l'Histoire, bien que j'essaie d'atteindre la vérité dans mes livres historiques. Mais, pour atteindre la vérité, il faut une certaine subjectivité. Il faut une subjectivité intelligente, qui tombe juste, et je ne crois pas en la vérité absolue. Les choses sont contradictoires, difficiles. Il faut un instinct de la vérité des choses, tout en sachant très bien qu'elle n'existe pas. Cela ne m'intéresse pas de reconstituer le passé tel qu'il était. Mais il existe, et ce sont les parfums de ce passé que je décris dans mes romans.

Faites-vous un long travail préliminaire avant d'écrire vos livres?

Non. Surtout pas pour un roman. Je procède de façon vague : quand un de mes livres est publié, je me repose un temps, je regarde comment il marche, et puis, à un moment donné, j'en ai marre, je passe à autre chose. Et alors, peu à peu, plusieurs idées me viennent à l'esprit, et il faut choisir. A partir de ce moment, je me consacre totalement à mon livre, il n'y a pas d'autres sujets qui me passent par la tête... J'ai une sorte de trame générale, imprécise, non écrite, que je transforme au fur et à mesure que j'écris, selon mon inspiration... Parfois je fais deux versions, deux jets...

A ce stade, prenez-vous beaucoup de notes?

Comme journaliste, oui. Comme romancier, non. Je n'ai pas de carnet sur moi, tout est dans ma tête !

 Vous avez tout de même besoin d'une certaine documentation, ne serait-ce pour la trame historique de vos livres...

Oui, mais j'en élimine le plus possible. Si mon livre a une tonalité historique, je tiens à avoir une infrastructure exacte; pour l'histoire de la guerre d'Indochine, j'ai consulté beaucoup de documents, je suis allé revoir beaucoup de ses acteurs, que j'avais déjà rencontrés en étant l'envoyé spécial de France soir. Mais écrire un roman, c'est surtout inventer, le plus possible. Là, j'élimine...

Ne vous arrive-t-il pas de voyager, pour retrouver une atmosphère précise, des détails qui vous manquent?

Oui, mais je ne voyage plus autant qu'avant. Le dernier voyage que j'ai fait, c'était en Chine il y a quatre ans, alors que j'écrivais Les Grandes murailles... D'ailleurs, je me suis rendu compte sur place qu'ils avaient publié une "version" chinoise d'Anne-Marie. Mais je n'ai pas pu vérifier s'ils avaient modifié beaucoup de choses, car je ne parle pas le chinois! (rires).

Ecrivez-vous tous les jours?

Non. Il y a des moments où j'éprouve vraiment le besoin de me reposer, après la sortie d'un livre et aussi pendant l'écriture. Le week-end, généralement, je fais autre chose. Et puis, quand je suis aux deux tiers ou à la moitié d'un livre, je m'accorde un repos de quinze jours, trois semaines...

C'est en quelque sorte le repos du combattant...

Tout à fait. Je me repose avant le sprint final ! (rires). Je suis à ce moment fatigué, las, j'ai envie de sortir un moment de cette permanence, de cette obsession qui dure un à deux ans...

Etes-vous sensible aux critiques et au succès d'un de vos romans lorsqu'il est publié?

Oui! J'avoue cette humaine faiblesse! (rires). Tous les auteurs l'ont. Mais je ne téléphone pas, je ne fais pas de cuisine... (rires).

Certaines critiques vous ont-elles fait évoluer?

Les critiques écrites, non. Mais les avis de mes proches, concernant les longueurs de certains passages, peuvent me faire évoluer. Et puis je trouve que les critiques littéraires n'ont actuellement plus rien à voir avec ce qu'elles étaient autrefois. C'est une question de temps, de place dans les journaux. Les critiques n'expriment plus ce que les auteurs ont voulu dire, ils ne trouvent plus les mots...

Etes-vous très critique avec vous-même?

Je le suis, mais, comme je suis paresseux, je demande à mon épouse de m'aider à cela ! (rires).

Jugez-vous vos personnages ou les faites-vous évoluer à leur guise?

Quand il s'agit de personnages de ma famille, bien sûr, je porte un jugement sur eux. Mais en dehors de ça, je me fais une idée de mes personnages et je les regarde, je m'amuse. Dans Les Dix mille marches, je fais un portrait de la femme de Mao. Evidemment, je la juge, mais je la laisse évoluer selon ce que je pressens d'elle... et ce que l'histoire m'en dit. Quant à savoir si ce portrait correspond à la réalité, je n'en ai pas la moindre idée. Mais il me semble avoir perçu une vérité de ce personnage monstrueux.

Est-ce que le roman est pour vous une forme de liberté? Y réalisez-vous vos rêves?

Ecoutez...(long silence)... comme je m'ennuie un peu dans ma vie, le roman est pour moi un moyen de me désennuyer; j'aime écrire. De là à y réaliser mes rêves...

A ce sujet, vous avez dit : "Dans le journalisme, on est guidé par les événements, dans le roman, la liberté est immense"...

Ah oui! Je suis guidé par des instincts, des pulsions, des lambeaux de souvenirs. Et par des impressions, une certaine façon d'écrire. La difficulté, c'est de se repérer au milieu de tout cela. Tout l'art, c'est d'arriver à faire quelque chose de concis avec cette liberté, qui est abondante, plantureuse, et qu'il y ait une histoire et un style. Faire un livre, c'est un peu comme faire cuire un gâteau! (rires).

Quel est votre endroit favori pour écrire?

Mon bureau, tout simplement! J'aime bien travailler au calme, entouré d'objets, de photos, que la vie a laissés là.

Avez-vous une plume fétiche?

Pas du tout! J'écris avec un Bic, sur du papier volant, puis je tape mon texte, le jour-même, ou je le dicte à une dactylo et je me corrige...

Avez-vous des moments préférés pour écrire?

Je ne suis pas un matinal... (rires). J'écris généralement entre onze et cinq heures de l'après-midi, après avoir déjeuné rapidement. C'est en sorte un travail presque continu.

Connaissez-vous le syndrome de la feuille blanche?

Pas beaucoup. Il y a certes des moments où je ne travaille pas, où je suis fatigué, mais ce n'est pas la feuille blanche qui me bloque. A partir du moment où, dans ma tête, j'ai des mots à peu près rassemblés, j'y vais! Et je n'ai pas peur de la feuille blanche...

Arrivez-vous à conclure facilement vos chapitres?

C'est variable. Mais, en général, je trouve assez facilement de bonnes chutes. Le journalisme m'a très bien entraîné à cet exercice de style. Dans une "story", il faut aussi une attaque, une chute...

Que vous inspire le mot "Fin"?

Un soulagement, un contentement... et une inquiétude. Même si je suis habitué à avoir un certain succès avec mes livres, sans l'exagérer -je ne me prends pas pour un grand écrivain- je me demande à chaque fois si ce succès va revenir. Je ne suis jamais sûr du prochain livre que je vais faire, y compris quand je l'écris. On ne sait jamais. Je peux être fatigué, trop vieux, ou avoir la cervelle détraquée! (rires). J'attache ainsi toujours une grande importance à la rencontre entre l'œuvre et le public...

Quand vous parlez d'inquiétude, vous voulez dire que cela vous gêne de perdre vos personnages?

Non. Je les oublie ! Si vous me demandiez même ce que contiennent mes livres, comment je les ai finis, je vous répondrais que je l'ai oublié ! (rires).

Une fois que vous avez terminé la première version d'un de vos manuscrits, le laissez-vous reposer un certain temps?

Non. A ce moment, je suis pressé de le terminer. Donc de le relire, de réécrire la deuxième, parfois la troisième version.

Avez-vous tendance à laisser tomber des manuscrits?

Ah oui! Beaucoup! Je les garde, je les réutilise parfois. Et puis il m'est arrivé souvent de réécrire totalement certains de mes livres, mais cela va plus vite, heureusement! (rires). Le livre que j'ai écrit en le moins de temps, c'est Le Fils du consul : je l'ai fait en trois mois...

Prenez-vous autant de plaisir à vous corriger qu'à écrire?

Ca dépend quel genre de correction. J'aime bien les grandes corrections, mais le pinaillage, qui est pourtant très nécessaire, me casse les pieds! Et je le fais faire par ma femme.

Lisez-vous beaucoup vos contemporains ? Y prenez-vous du plaisir?

Je ne lis pas beaucoup, car la lecture fatigue mes yeux. Et puis, maintenant, il y a tellement de livres médiocres qui paraissent...

Vous qui avez connu une époque littéraire glorieuse, comment jugez-vous le milieu littéraire actuel? Y voyez-vous de grands écrivains?

C'est très difficile à dire, car je pense que les contemporains de ces époques ne savaient pas qu'elles étaient glorieuses. Ils ne savaient pas quels auteurs, quels livres, resteraient. Regardez le pauvre Flaubert...

Mais il y a bien eu une époque où coexistaient Gide, Morand, Mauriac, Montherlant. Ils étaient déjà reconnus de leur vivant...

Oui. C'est vrai... Je n'en trouve pas d'immenses actuellement. Mais j'aime bien Sagan, Nourissier, Grainville, Gracq... Mais attendons. Autant je pense que le Grand reportage, pour des raisons techniques, a en grande partie disparu, autant je ne perds pas espoir pour la littérature.

Regrettez-vous la disparition des écoles littéraires?

Ecoutez, je m'en fous ! (rires). Chacun écrit comme il veut. Je n'appartiens à aucune école, j'ai un certain genre, c'est tout. Le Nouveau Roman m'a gêné. Je ne le lis pas, je préfère des livres plus charnus. Mais les gens sont libres de faire ce qu'ils veulent ! (rires).

Avez-vous des entrevues fréquentes avec vos confrères?

Je n'aime pas trop fréquenter le milieu littéraire. Depuis vingt ans, je ne vois plus grand monde, excepté certaines personnes de chez Grasset, comme Jean-Claude Fasquelle, qui est mon ami. Mais les signatures m'ennuient. J'en fais très peu. Et puis je n'aime pas les débats d'idées. J'ai très peu d'idées politiques, les rares idées que j'ai, je les exprime dans mes livres...

Vous sentez-vous isolé par les exigences de votre métier? Vous avez dit auparavant que vous vous ennuyiez...

Oui... vous savez, je ne suis plus tout jeune! Voyager, partir en voiture, vivre, courir les aventures de toutes sortes, étant donné mon âge, je suis obligé à un léger reflux... Je ne me sens pas isolé. J'ai le soutien de mon entourage, je vois de temps en temps Bernard-Henri Lévy, Yves Berger, François Nourissier... mais il est vrai que c'est beaucoup plus rare.

A défaut de voir des gens, avez-vous des relations épistolaires?

Non. Le téléphone a tout détruit. Et puis je n'aime pas écrire pour écrire... On ne trouvera pas de correspondance de moi ! (rires).

Quels conseils donneriez-vous à un jeune écrivain débutant?

Vous savez, j'ai été amené au journalisme et à la littérature par des circonstances très particulières, très noires : la guerre à l'horizon, Hitler, Mussolini. Maintenant, on a du mal à imaginer tout cela. Et puis il y avait l'air du temps, des gens comme Lazareff, Jean-Claude Fasquelle... Ce sont les raisons pour lesquelles je pense qu'il n'y a pas de conseils absolus...

N'y a-t-il pas un message que vous voudriez lui transmettre?

Il faut voir ce qu'il peut faire, son talent, son caractère... (silence). Le plus difficile pour un écrivain, c'est de se juger à sa propre valeur...

Lequel de vos romans voudriez-vous qu'il lise en premier?

La Duchesse. C'est celui où il y a le plus d'invention, que j'ai situé en Indochine, un siècle en arrière. Ce récit tourne autour de la duchesse, qui est une femme indigène. Il y a la nature, la jungle, les Chinois, bref, tout le monde! (rires). Et puis mes livres historiques, comme L'enlisement et L'aventure. Ce sont des livres qui sont pleins d'atmosphère, ce sont des reportages que j'ai vécus, que j'ai retranscrits avec mon imagination et qui ont marqué ma vie...

Avez-vous des regrets?

Non. J'ai eu des coups de chance : en 1940, alors que j'étais sur le front, sur la Meuse, je n'ai pas été fait prisonnier par les Allemands, je n'ai pas été tué. J'ai survécu à la guerre d'Indochine. Ma vie a eu ses pépins, ses ennuis, ses drames. C'est tout. Ce qui est ennuyeux, c'est que j'arrive vers la fin, et que, pour ça, il n'y a rien à faire... Mais je ne changerais rien. Les livres que j'ai faits sont là, je n'y retoucherai pas. Vous savez, l'idée de gloire, de notoriété, tant que l'on vit, c'est très bien. Mais la gloire outre-tombe, cela ne m'intéresse pas, c'est inutile.

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